Le 11 janvier 2019, l’Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) a prononcé la déchéance de la marque BIG MAC pour défaut d’usage sérieux (lisez sa décision ici). Ce billet explique pourquoi cette décision est formellement correcte, mais pourquoi elle ne devrait pas inquiéter outre mesure le géant américain. Si vous lisez ce billet jusqu’au bout, vous verrez également que le droit des marques peut être l’occasion de s’amuser un peu !
L’obligation d’usage sérieux, pierre angulaire du droit des marques
Le titulaire d’une marque a l’obligation d’en faire un usage sérieux pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée et ce, dans un délai de cinq ans à compter de son enregistrement.
La notion d' »usage sérieux » a fait l’objet d’une jurisprudence abondante de la Cour de justice de l’Union européenne, qui a notamment précisé ceci dans son arrêt Leno Merken du 19 décembre 2012 (C-149/11, point 29):
une marque fait l’objet d’un «usage sérieux» lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque. L’appréciation du caractère sérieux de l’usage de la marque doit reposer sur l’ensemble des faits et des circonstances propres à établir la réalité de l’exploitation commerciale de celle-ci dans la vie des affaires (…).
L’action en déchéance pour défaut d’usage sérieux
Une partie qui estime qu’une marque n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux peut agir devant l’office des marques concerné afin qu’il prononce sa déchéance. Cet argument peut également constituer une « contre-attaque » de la personne accusée de contrefaçon devant un tribunal. C’est ce qu’on appelle en procédure une « action reconventionnelle ».
C’est donc sur la base de l’absence d’usage sérieux que la société irlandaise Supermac’s a saisi la division d’annulation de l’EUIPO afin qu’elle prononce la déchéance de la marque BIG MAC de McDonald’s.
Les preuves de l’usage sérieux
On l’a vu, le titulaire de la marque menacée de déchéance doit être en mesure d’établir la réalité de son exploitation commerciale pour les produits ou services concernés. Un tel usage sérieux ne peut pas être démontré par des probabilités ou des présomptions, mais doit reposer sur des éléments concrets et objectifs qui prouvent une utilisation effective et suffisante de la marque sur le marché concerné.
McDonald’s était donc tenue d’apporter des preuves de l’usage sérieux de sa marque Big Mac dans l’Union européenne. Et c’est sur cette question de preuve qu’elle échoue. À l’issue d’un examen rigoureux, l’EUIPO estime en effet que les preuves fournies ne sont pas suffisantes:
- McDonald’s soutient avoir vendu des millions de sandwiches sous la marque Big Mac. Toutefois, ces chiffres résultent de déclarations de représentants de la société McDonald’s elle-même et non d’analystes indépendants ;
- McDonald’s produit également des extraits de son site Internet, des brochures promotionnelles et des reproductions emballages arborant la marque Big Mac. Toutefois, l’EUIPO estime que la seule présence de la marque sur ces supports ne suffit pas en tant que telle à démontrer des ventes effectives des produits sous la marque;
- enfin, la référence à la page Wikipedia consacrée au Big Mac est purement et simplement écartée. L’EUIPO estime en effet qu’il ne s’agit pas d’une source d’information fiable dès lors que ces pages peuvent être modifiées par les utilisateurs.
Il n’est pas douteux que le Big Mac est un produit phare des restaurants MacDonald’s et on peut facilement imaginer qu’un nombre incalculable de ces sandwiches est écoulé quotidiennement dans l’Union européenne. On comprend donc qu’une décision déclarant que la marque Big Mac n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux puisse surprendre le grand public.
Les praticiens du droit des marques y verront plutôt une application très stricte (mais correcte) de la règle selon laquelle la démonstration de l’usage effectif d’une marque doit reposer sur des données rigoureuses émanant de sources indépendantes. En d’autres termes, il ne suffit pas de se reposer sur la présomption qu’une marque devrait être bien connue du public, il faut encore le démontrer, pièces à l’appui.
Le Big Mac contre-attaquera
Cette décision signe-t-elle la fin de la success story du célèbre hamburger ?
Certainement pas ! Les décisions de l’EUIPO sont susceptibles d’appel et, devant la chambre de recours, le titulaire de la marque a la possibilité de produire des éléments nouveaux.
On peut donc s’attendre à ce que MacDonald’s produise des études de marché indépendantes démontrant la notoriété de sa marque auprès des consommateurs, ainsi que des rapports d’auditeurs indépendants attestant de l’étendue des ventes de produits sous la marque Big Mac.
Ceci devrait vraisemblablement suffire à sauver la marque Big Mac, à tout le moins pour les produits des classes 29 (aliments) et 30 (sandwiches).
En revanche, il n’est pas certain que la marque Big Mac puisse être sauvée pour les services de la classe 42 (restaurants) pour lesquels elle est enregistrée. Cela impliquerait en effet que MacDonald’s parvienne à démontrer que la marque Big Mac est utilisée pour des restaurants en tant que tels, et pas uniquement pour un sandwich particulier qui y sont servi…
Anything but a Big Mac
Si toutefois la déchéance de la marque BigMac venait à être confirmée définitivement, après épuisement de toutes les voies de recours, MacDonald’s perdrait le droit exclusif de faire usage du signe BigMac.
C’est ce qu’a imaginé, non sans humour, un concurrent de MacDonald’s.
Les deux géants du fast food ont du reste l’habitude de se livrer bataille à l’aide de publicités comparatives décalées, pour le plus grand bonheur des publivores ! Prolongez le plaisir notamment ici et ici.