Avec indignation, curiosité ou amusement, on a parlé de droit des marques ces derniers jours, à l’annonce du lancement d’un nouveau média de la RTBF baptisé TIPIK.
Indignation pour une agence de communication homonyme qui estime qu’on lui a « volé » son nom. Curiosité pour les journalistes à l’affût d’un bon papier. Et amusement pour le grand public, toujours friand d’une savoureuse histoire de plagiat.


Et si l’on prenait un peu de recul et de rigueur juridique pour analyser cette tempête médiatique ?
Marque vs nom commercial
Dans la presse, l’agence de communication TIPIK déclare que « notre nom a été déposé en 2007, de même que les noms de domaine Tipike.be et Tipik.eu ».
Pourtant, on ne trouve pas la moindre trace de dépôt dans les registres des marques Benelux ou de l’Union européenne. Seul des noms de domaine semblent avoir été effectivement enregistrés par l’agence de communication.
En d’autres termes, TIPIK dispose tout au plus d’un droit au nom commercial, lequel offre une protection nettement moins forte qu’une marque…
Un nom commercial ne permet pas de s’opposer à un dépôt de marque Benelux
Une des faiblesses du nom commercial, c’est qu’il ne permet pas de s’opposer au dépôt ou à l’enregistrement d’une marque Benelux, comme par exemple la marque TIPIK déposée par la RTBF. Seule une marque antérieure le permettrait.
L’agence de communication TIPIK ne semble donc disposer d’aucun moyen d’empêcher que les marques TIPIK de la RTBF soient valablement enregistrées dans le Benelux.
À vrai dire, sans connaître les arcanes du dossier, le seul levier dont elle semble disposer est le nom de domaine « tipik.be » dont elle est titulaire.
Le principe de spécialité, clé de voûte du droit des marques
Et quand bien même l’agence de communication aurait disposé d’un enregistrement de marque, la partie n’aurait pas été gagnée pour autant…
C’est que le droit des marques est régi par le principe de spécialité. Cette règle veut qu’une marque est uniquement protégée pour les produits ou services pour lesquels elle est enregistrée. Par conséquent, des marques identiques peuvent valablement coexister aussi longtemps qu’elles portent sur des produits ou services différents et que cela n’entraîne aucun ri sque de confusion pour le public. Un exemple typique, si l’on peut dire, est la marque LOTUS qui est enregistrée tant pour des biscuits que pour du papier toilette, des voitures de sport ou des montres.




Seule la marque renommée fait exception au principe de spécialité: elle permet en effet à son titulaire de s’opposer également à l’usage de marques identiques ou ressemblantes pour des produits ou services différents de ceux pour lesquels la marque a été enregistrée. À condition cependant d’établir la renommée de la marque invoquée et de démontrer que la marque postérieure en tire un profit indu, ou qu’elle porte atteinte à son caractère distinctif ou sa réputation.
C’est par exemple sur cette base que la marque de médicaments VIAGRA a pu tenir en échec l’enregistrement de la marque VIAGUARA pour diverses boissons. Le Tribunal de l’Union européenne a notamment retenu que, bien que ces boissons ne procurent pas réellement le même bénéfice que le médicament bien connu, « ce qui importe est que le consommateur sera enclin à les acheter en pensant retrouver des qualités semblables, telles que l’augmentation de la libido, du fait du transfert des associations positives projetées par l’image de la marque antérieure » (TUE, 6 mars 2013, T-332/10).
Or, les marques TIPIK de la RTBF ont été déposées pour les services classiquement fournis par un groupe de médias (émissions radiophoniques et télévisées; organisation de jeux et concerts; divertissements; production d’émissions; …), alors que les services de l’agence TIPIK consistent à élaborer des stratégies de communication pour les entreprises. De prime abord, les services semblent suffisamment différents que pour éviter la confusion auprès du public.
Il n’empêche, si la marque de TIPIK avait été enregistrée (notamment pour de tels services de communication), l’agence de communication aurait probablement pesé davantage dans la négociation, en brandissant la menace d’une invalidation (le cas échéant partielle) des marques de la RTBF, en tentant de démontrer une proximité avec certains des services pour lesquels sa marque aurait été enregistrée.
There is no such thing as bad publicity
Juridiquement, l’agence TIPIK doit regretter amèrement de ne pas avoir pensé à déposer sa marque… car ce qu’elle entend dénoncer s’apparente à une tempête dans un verre d’eau.
Médiatiquement, en revanche, elle a parfaitement tiré son épingle du jeu s’attirant les projecteurs et en faisant sienne l’adage « there is no such thing as bad publicity« .